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Le retour de la Syrie au pays du Cèdre
La nomination de Najib Mikati au poste de Premier ministre n’est pas une victoire du Hezbollah mais bel et bien de Damas.
03.02.2011 | Mohanad Hage Ali
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© Dessin de Bleibel, Liban.
Au Liban, le renversement du gouvernement pro-occidental par ses
adversaires prosyriens – et notamment le Hezbollah – a mis en émoi les
médias du monde. De nombreux organes de presse occidentaux n’ont pas
hésité à décrire ce processus comme une sorte de coup d’Etat islamiste.
Même la BBC a déclaré que le “candidat du Hezbollah”, Najib
Mikati, avait remporté le plus de voix pour succéder à Saad Hariri comme
Premier ministre. Sky News a été plus loin en affirmant que “le Hezbollah [prenait] le contrôle du gouvernement libanais”.
Pourtant, tout le monde a fait fausse route. C’est la Syrie, et non le
Hezbollah, qui a placé sous sa coupe le gouvernement libanais.
A l’origine de ce changement de gouvernement, onze anciens députés de la
coalition du 14 Mars [coalition antisyrienne] – notamment Najib Mikati
et Walid Joumblat – ont rejoint le camp prosyrien. “La géopolitique
[l’influence syrienne] nous dicte de choisir entre nous jeter à la mer
ou aller dans les bras des Arabes et de la Syrie”, a rappelé fin
janvier le leader druze. Il avait pourtant accusé la Syrie d’avoir
assassiné son père, Kamal, et aussi Rafic Hariri, l’ancien Premier
ministre. Walid Joumblatt avait également été la figure de proue de ce
qu’on a appelé la “révolution du Cèdre”, en 2005 : ces grandes
manifestations ayant abouti au retrait des troupes syriennes.
Les Etats-Unis avaient apporté un soutien inconditionnel à la coalition
du 14 mars ; Walid Joumblatt et ses alliés parlaient d’une nouvelle ère
de démocratie sous perfusion américaine. L’ère Bush vient à peine de
prendre fin que le leader druze a déjà changé son fusil d’épaule, et la
Syrie lui a une fois de plus ouvert grand les bras.
Pendant quatorze ans, la Syrie, par sa présence militaire et grâce à ses
alliés locaux, a contrôlé tous les aspects de la vie politique
libanaise. Son chef de la sécurité militaire à Beyrouth désignait les
candidats aux postes clés du gouvernement. Pendant toutes ces années,
les gouvernements européens et américain toléraient l’influence de la
Syrie et discutaient directement avec Damas des questions libanaises.
Aujourd’hui, les cendres de l’ère Bush à peine éteintes, la Syrie fait
son grand retour avec l’aide de ses alliés. Et, d’après un diplomate
européen, “nous avons vécu avec l’influence syrienne pendant des
années, nous ne sommes pas ravis, mais il n’y aura aucune sanction ni de
nouveau Vietnam”. Ce changement de gouvernement au Liban ne
signifie pas que le Hezbollah va régner dans l’ombre, comme le déclarait
avec emphase Newsweek. C’est plutôt la Syrie qui va régner
dans l’ombre.
Avec ce nouveau gouvernement dirigé par Najib Mikati, un riche homme
d’affaires éduqué à l’occidentale, le Hezbollah reprendra le statut
qu’il avait avant 2005, évitant la confrontation militaire et adoptant
un profil bas vis-à-vis d’Israël. Pour Damas, ce gouvernement est un
ballon d’essai qui lui permettra de tester son influence en l’absence de
présence militaire ; il ne laissera donc personne, pas même le
Hezbollah, saboter cette expérience.
La première préoccupation de la Syrie concerne le Tribunal spécial pour
le Liban, qui enquête sur l’assassinat de Rafic Hariri et devrait mettre
en cause des membres du Hezbollah et des représentants syriens.